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Former, déformer, transformer

Lorsque j'ai commencé à réfléchir sur la formation, mon premier réflexe a été, comme bien souvent, de revenir au dictionnaire. Je suis de celles qui pensent que le langage formate la pensée et que les termes que l'on utilise dans une société ne sont pas anodins. Et j'ai été assez surprise.

Le mot formation, en tant qu'action de donner à quelqu'un, à un groupe, les connaissances nécessaires à l'exercice d'une activité ou encore éducation intellectuelle et morale, est présent dans le Larousse et le Robert, dans le dictionnaire des synonyme du CRISCO (Centre de Recherche Inter-langues sur la Signification en COntexte), mais pas dans le Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi).

Le TLFi est la version informatisée du TLF, un dictionnaire des XIXe et XXe siècles en 16 volumes et 1 supplément : 100 000 mots avec leur histoire, 270 000 définitions, 430 000 exemples... La rédaction du TLF est terminée depuis 1994 et il n’a pas vocation à être mis à jour. Il est donc tout à fait naturel que les définitions qui s’y trouvent ne rendent pas compte des évolutions de la société. Cela nous apporte une information particulièrement intéressante. Le terme formation, tel qu'on l'entend actuellement, n'a été ajouté au dictionnaire qu'au XXIe siècle et n'a que 20 ans environ, peut être 40 ans par l'usage. 

 

Les enjeux de la formation

Une question de Forme

Si l'on revient à la définition du mot formation, à son origine, il s'agit de l'action de créer, de produire quelque chose (ex. les géomètres procèdent à la formation des parcelles), c'est un processus par lequel une chose acquiert la forme, l'organisation qui lui donnent son existence, son identité (ex. formation des cristaux, des cellules, des sociétés, des idées) et aussi le fait d'organiser des éléments en un tout (formation d'un convoi, d'un comité).

La formation pose donc la question de la forme et de la nature d'une chose, ou d'une personne.

"La forme des objets n'en est pas le contour géométrique : elle a un certain rapport avec leur nature propre et parle à tous nos sens en même temps qu'à la vue. La forme d'un pli dans un tissu de lin ou de coton nous fait voir la souplesse ou la sécheresse de la fibre, la froideur ou la tiédeur du tissu." MERLEAU-PONTY

En utilisant le mot formation, plutôt que le mot éducation, apprentissage ou instruction, on sous-entend que l'on façonne un individu selon une forme particulière, qui va bien au-delà de son aspect extérieur. Cela ouvre toute la réflexion sur nos cultures et nos systèmes de formation.

 

Un terme lié au droit

J'ai donc poursuivi mon enquête avec le Larousse pour m'apercevoir que la formation telle qu'on l'entend ici est un terme lié au droit :

  • Formation continue : formation professionnelle destinée aux salariés des entreprises.
  • Formation en alternance : assurée pour partie en entreprise et pour partie en centre d’enseignement.
  • Formation professionnelle : ensemble des mesures permettant la formation à un premier emploi, l'adaptation ou la conversion à un nouvel emploi, la promotion ou encore l'acquisition, l'entretien ou le perfectionnement des connaissances et qui sont prises en charge par l'État et l'employeur.
  • Plan de formation : ensemble des formations retenues par l'employeur en fonction des objectifs poursuivis par l'entreprise.

La formation, c'est donc l'outil utilisé par les entreprises, les employeurs et l'état pour qu'une personne soit adaptée à un travail. D'ailleurs, la Commission Européenne a classé de manière homogène toutes les offres d'apprentissage et de parcours d'enseignement des pays de l’Union européenne. C'est le CLA (Classification of Learning Activities) dont la première publication date de 2006 puis révisée en 2016 (source : INSEE et Eurostat).

Une formation est une forme d’apprentissage à la fois organisé et institutionnalisé. Les activités d’apprentissage sont caractérisées par l’intentionnalité : le participant doit avoir l’intention d’apprendre. Elles sont divisées en 3 classes : la formation formelle, la formation non-formelle et l’apprentissage informel. Pour être classée en formation, formelle ou non-formelle, l’activité d’apprentissage doit vérifier les critères suivants :

  • elle doit être planifiée / organisée ;
  • le cadre doit être institutionnalisé.

Les critères pour déterminer si les apprentissages sont institutionnalisés doivent être planifiés par un organisme ou une personne qui est responsable au moins :

  • des méthodes d’enseignement/apprentissage qui doivent être prédéterminées ;
  • du programme d’apprentissage ;
  • des conditions d’admission ;
  • du lieu où l’apprentissage/enseignement aura lieu. La formation peut avoir lieu en présentiel ou à distance.

Cela suppose l’existence, dans une formation, d’une relation formalisée, telle qu’une interaction élève-enseignant. L’apprentissage informel se distingue de la formation dans le sens où il ne requiert pas d’organisation institutionnalisée ; notamment, il ne met pas en œuvre de relation ni d’interaction structurée comme celle d’élève-formateur.

 

Une formation formelle est une formation qui, à la fois :

  • présente un apprentissage graduel hiérarchisé par niveaux ;
  • exige des prérequis pour l'admission ;
  • dure au moins un semestre ;
  • et a un programme reconnu par le système éducatif national (ou une autorité équivalente).

Si l'un des critères n'est pas présent, la formation est dite informelle. En France, l'éducation nationale propose des formations formelles alors que les formations menant par exemple aux certificats de qualification professionnelle (CQP) sont informelles.

 

Avec un organisme de formation, me voilà donc dans un système fortement institutionnalisé créé par les gouvernements, pour les entreprises, pour formater les individus de demain au travail, en imposant une forme, un cadre bien particulier.

 

déformer pour transformer

altérer la forme

Dans un contexte aussi cadré, comme faire pour créer de nouvelles formes ? Car pour donner une nouvelle forme, il faut accepter de déformer. Déformer, c'est "modifier, généralement en l'altérant, la forme d'une chose, l'aspect d'une personne, la réalité ou la nature de quelque chose ; altérer une chose en la gâtant ou en la corrompant." (TLFi). Le Larousse nous dit que c'est aussi "faire perdre à quelque chose sa justesse, son sens, sa vraie nature ; dénaturer, défigurer (ex. déformer la vérité) ; faire prendre à quelqu'un certaines habitudes, certaines manies, certains réflexes qui ne lui sont pas naturels (ex. déformation professionnelle) ; ou perdre sa forme normale (ex. pull déformé au lavage).

Ces dernières définitions sous-entendent à nouveau un cadre, une normalité, une vérité, dite naturelle. Déformer, c'est donc maintenant sortir de la norme.

 

Au-delà de ce qui est normal ou non, il est illusoire d'espérer changer quelque chose en restant tel que l'on est, en ne prenant pas le risque de détruire la forme existante.  Comment savoir ce que serait notre forme naturelle ? Nous sommes la somme de nos croyances et certitudes héritées de la culture, de la société, de l'éducation, du transgénérationnel (sans parler des vies antérieures). À quel point avons-nous été "formés" ou "déformés" dans notre enfance ?

 "C’est ce que nous pensons déjà connaître qui nous empêche souvent d’apprendre." Claude Bernard

 

C'est tout le propos de l'alchimie qui vise à séparer le "pur" de l'"impur". Autrement dit, sur un plan personnel, il s'agit de retrouver sa nature divine. (cf. Patrick Bertoliatti)

La première étape, l'œuvre au noir, d'un point de vue psychologique, est une phase délicate de lente déconstruction, pendant laquelle se dévoile le chaos intérieur. Une lente libération de la conscience de soi s'opère par le retrait des fixations. Ces fixations peuvent être intérieures et extérieures, comme la situation sociale, familiale, les pensées, les émotions... L'œuvre au noir débouche sur une mort et une ancienne image de soi qui a été brûlée.

 

Puis, suit une phase d'accroissement de la conscience de soi par retrait des projections, l’œuvre au blanc. Une phase d'intériorisation permet un accroissement du discernement et une accélération des prises de conscience à partir des matériaux qui ont submergé la conscience dans la phase précédente. Ce n'est qu'un début d'éveil à soi et non l'accomplissement final.

 

et aller au-delà

Telle une pâte à modeler, la matière, une fois déformée, peut devenir autre chose...

Transformer, c'est "donner une autre forme, un aspect différent ; changer complètement le caractère, la nature, l'état psychologique de quelqu'un ; métamorphoser" (TLFi). Et pour une fois, le TLFi et le Larousse sont d'accord ! Peut-être que la société n'a pas encore altéré ce mot-là... Pour aller un peu plus loin, on peut revenir au préfixe latin trans "qui traverse l'espace ou la limite, qui est de l'autre côté de la limite" (TLFi), "au-delà, exprimant l'idée de changement, de traversée" (Larousse).

 

Avec la transformation, il s'agit d'aller au-delà des limites existantes. C'est dans la transformation qu'une nouvelle forme jaillit et que la nature change, de façon visible et invisible.

 

En alchimie, on entre dans le Grand Œuvre avec l’œuvre au rouge qui débute par la mort à un état de pureté non encore incarné et l'éveil du désir, chez l'alchimiste, d'incarner pleinement l'illumination de sa conscience. D'un point de vue psychologique, c'est le moment où le Moi perd sa place centrale au profit du Soi, avec lequel il reste en communication. Après avoir pris conscience de son ombre, s'être laissé guidé par l'âme et avoir surmonté l'épreuve de l'identification aux émanations du Soi, il faut encore incarner le résultat de la communication qui résulte du processus. Il s'agit d'atteindre la plénitude de Soi et la complétude qui peut surgir une fois que tous les morceaux de l'être ont été rassemblées. Ce n'est qu'une fois vraiment unifié qu'il est possible de vivre pleinement l'expérience relationnelle de la réalisation du Soi, ce qui suppose un changement dans la personnalité devenue à même de la contenir et de la soutenir. (cf. Patrick Bertoliatti)

 

apprentis-sage de demain

un retour à l'éducation

"L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde." Nelson Mandela

L'éducation, toujours selon le TLFi, c'est "l'art de former une personne, spécialement un enfant ou un adolescent, en développant ses qualités physiques, intellectuelles et morales, de façon à lui permettre d'affronter sa vie personnelle et sociale avec une personnalité suffisamment épanouie ; action de former et d'enrichir l'esprit d'une personne ; initiation d'une personne à un domaine de connaissances, à une activité ou une discipline particulière." Là encore, le Larousse perd en nuances "Action d’éduquer, de former, d’instruire quelqu'un". Au revoir les notions de qualités physiques, intellectuelles et morales ainsi que toute notion d'épanouissement.

Dans une démarche d'individuation et d'alchimie, la connaissance de soi a pour but de retrouver cette personnalité épanouie, notre nature divine, au-delà du Moi.

 

Alors comment faire co-exister le cadre institutionnalisé des organismes de formation avec le processus alchimique de transformation nécessaire, de mon point de vue, à l'émergence des nouvelles sociétés ? Comment préparer les individus à une conscience collective leur permettant de vivre et d'agir ensemble ?

 

Education populaire

"Aucun de nous ne sait ce que nous savons tous ensemble" Euripide

 

L'éducation populaire est un processus visant à faire évoluer les individus et la société en dehors des cadres d'apprentissage traditionnels. Elle permet aux individus de se forger leur propre opinion sur la société et d'agir de manière individuelle et collective sur le monde qui les entoure. Il s’agit, plus largement, de faciliter l’accès aux savoirs, à la culture, afin de développer la conscientisation, l’émancipation et l’exercice de la citoyenneté, "en recourant aux pédagogies actives pour rendre chacun acteur de ses apprentissages, qu’il partage avec d’autres".

L'éducation populaire est une démarche qui se met en action en dehors de l'école et/ou de l'influence des parents et qui place les personnes au cœur de leur apprentissage. On prend pour point de départ les expériences, les situations, les questionnements de chacune et de chacun, on met en commun tous ces savoirs sans instaurer de hiérarchie de valeur entre ces connaissances. C'est partir du principe que l'on a toutes et tous quelque chose à apprendre de l'autre ce qui nous permet aussi d'encourager le débat, de se questionner et de confronter nos idées, mais toujours en étant légal de l'autre. Il s'agit de pouvoir s'émanciper à la fois individuellement et collectivement, de favoriser l'amélioration de tout le système social. Tout cela contribue à transformer la société.

Si vous ne connaissez pas encore l'éducation populaire, je vous invite à écouter Franck Lepage, à chacun ensuite d'adhérer ou non à sa vision politisée.

 

 

 

Cases à déformer

En tant qu'organisme de formation, on attend de moi que je fournisse un parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel. Mes actions de formation doivent répondre à des objectifs déterminés en termes de connaissances, de compétences ou de qualification à acquérir. Toute action de formation doit également être détaillée dans un programme, un document écrit qui précisera les objectifs et la durée de la formation, le niveau de connaissances préalables requis, les modalités de suivi de la formation et d’évaluation de ses résultats, les moyens pédagogiques et techniques utilisés (livres, matériel informatique, etc.), ainsi que les modalités d’encadrement (formateurs, leurs titres et qualités).

 

Autant dire que, sur le plan de la transformation personnelle, choisir les mots pour décrire les objectifs "d'éveil" et les indicateurs de réussite pour mesurer les "prises de consciences" va être une partie de plaisir ! Voici néanmoins ce qui m'attend dans les mois à venir pour commencer à déformer doucement les cases de la formation professionnelle.

 



 

ÉCRIT PAR :

AURIGAE - Claire Le Baron

 

Formatrice, conférencière et auteur, j'ai changé de carrière en 2015 pour devenir thérapeute énergétique à plein temps.  A l'origine ingénieur de recherche spécialisée dans la modélisation des ondes et le vibratoire, je fais à présent des ponts entre les sciences et ma compréhension de l'énergétique.

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